Saturday, January 25, 2014

L'économiste public et le "pacte de responsabilité" annoncé par F. Hollande

Ci-dessous quelques réactions d'économiste public au "pacte de stabilité" proposé par F. Hollande, et qui consiste principalement à "supprimer d'ici à 2017 les cotisations familiales pesant sur les entreprises, soit l'équivalent de 30 milliards d'euros" (F. Hollande d'après Le Monde du 23/01/14) avec des contreparties de la part des entreprises en termes d'emploi et d'investissements qui "devront être claires précises, mesurables et identifiables" (idem).

1. Un résultat de base de l'économie publique est qu'une taxe (ou une cotisation sociale ici) est imposée sur une transaction et que le fait que la taxe soit payée par une partie ou l'autre à la transaction n'a aucun impact économique. Dans le cas étudié, la cotisation augmente l'écart entre le coût du travail pour l'employeur et le salaire net pour l'employé. Le fait que ce soit l'employeur (plutôt que l'employé) qui fasse le chèque vers les pouvoirs publics n'a aucun impact. Et pourtant, les médias insistent lourdement sur le fait que ce sont les entreprises qui supportent cette taxe.

J'ai d'ailleurs la même remarque sur la taxe à 75% sur les salaires de plus d'un million d'euros: la presse a beaucoup insisté sur le fait que cette taxe serait payée par l'employeur et non les travailleurs, mais d'un point de vue économique cela ne fait aucune différence.

2. L'incidence fiscale consiste précisément à étudier les conséquence d'une taxe. Une taxe amène les agents économiques à changer leur comportement. Calculer l'incidence fiscale consiste à comparer l'allocation économique obtenue avec la taxe avec ce qu'elle aurait été sans la taxe. Diminuer une taxe a pour conséquence généralement d'augmenter en partie le prix perçu par l'offreur du bien/service taxé et de diminuer le prix payé par l'acheteur. Dans le cas d'une taxe sur le travail, sa diminution va profiter en partie au demandeur (l'employeur) qui voit le coût du travail baisser, mais aussi à l'offreur (le travailleur) dont le salaire net augmente. Les consommateurs bénéficient également si l'entreprise profite de cette baisse de ses coûts pour baisser ses prix (ce qui est probable en situation de concurrence). Et dans un contexte de chômage, on peut s'attendre à ce qu'une baisse relative du coût du travail induise les entreprises à substituer du travail au capital, c'est-à-dire à embaucher plus.

Calculer l'incidence fiscale d'une taxe est très complexe, en grande partie car cela suppose de calculer un équilibre contre-factuel, non observable (ce qui se passerait si on (ne) supprimait (pas) cette taxe). Cet exercice prend du temps et nécessite une grande expertise. Je n'ai rien vu de tel dans les journaux ni dans les communications du gouvernement, qui ont l'air de supposer que la totalité de l'incidence fiscale bénéficiera aux "entreprises", ce qui est extrêmement peu probable. De la même façon, je ne comprend pas d'où viennent les chiffres de création d'emplois avancés par les organisations patronales.

3. Le gouvernement (quand il dispose d'une majorité parlementaire) peut changer les conditions fiscales d'un trait de plume. Les conséquences économiques de ce changement proviennent en revanche de l'interaction entre les comportements de millions d'acteurs: demandeurs et offreurs de travail et de capital, consommateurs, etc. Les résultats de ces interactions sont difficiles à prévoir (voir point ci-dessus). J'ai beaucoup de mal à comprendre comment "les entreprises" (même via une association représentative) peuvent collectivement "s'engager" à quoi que soit. En conséquence, comment signer un "pacte" quand une des parties ne contrôle pas ce qu'elle est supposée s'engager à accomplir? Comment également mesurer si l'engagement est respecté, car pour cela il faut comparer les emplois crées à ceux qui l'auraient été si la mesure n'avait pas été adoptée?

La rationalité de ce pacte semble plus politique qu'économique: convaincre les électeurs que le "cadeau aux entreprises" que représente cette baisse des cotisations aura des conséquences bénéfiques sur l'emploi et l'investissement. Présenter cela sous la forme d'un pacte est peut-être souhaitable d'un point de vue politique pour faciliter le passage de cette mesure, mais je trouve cette façon de procéder dommageable à plus long terme car elle renforce dans la population des croyances totalement fausses d'un point de vue économique. J'aurais préféré utiliser cette décision de baisser des cotisations comme un moment de pédagogie: qui osera expliquer les bases de l'incidence fiscale aux journaux de 20 heures?

4. Pour avoir un point de vue complet sur l'incidence fiscale, il convient d'étudier également ce que les pouvoirs publics comptent faire suite à la baisse des ressources (para)fiscales que cette suppression de cotisations va engendrer. Si le gouvernement ne fait rien, il accroît le déficit et donc la dette publique, qui devra être financée plus tard, et il importe de savoir quand et comment. Si cette baisse de cotisations est financés par augmentation d'autres taxes, il faut savoir lesquelles. Et si ce sont les dépenses qui seront baissées en compensation, il faut également préciser lesquelles. Tant que les réponses à ces questions ne seront pas données, l'économiste public ne pourra procéder à l'étude de l'incidence fiscale de la suppression des cotisations familiales.

5. La presse rapporte toujours les montants absolus concernés (30 milliards d'euros ici), mais sans (presque) jamais les mettre en perspective. Et comme ces montants sont bien plus élevés, en valeur absolue, que ceux que le commun des mortels a l'habitude de gérer, ils finissent par ne plus rien vouloir dire. 300 millions, 30 milliards, 300 milliards, quelle différence?

Il faut garder des ordres de grandeurs en tête. Le produit intérieur brut de la France en 2013 s'établit à environ 2 000 milliards d'euros. La dette publique représente a peu près le même montant. Donc, 20 milliards d'euros représentent environ 1% de la valeur totale des richesses produites et échangées sur des marchés en France en un an, et 1% de la dette accumulée. Le déficit budgétaire en 2013 est d'environ 72 milliards d'euros, soit environ 4% du PIB.

Plutôt que de lancer des chiffres absolus à la tête de leurs lecteurs/auditeurs/spectateurs, les journalistes feraient bien mieux de les mettre en perspective, en proportion du PIB, du déficit public annuel ou des recettes fiscales du gouvernement.

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